Mais ce qu’il y a d’étonnant, c’est que l’individu que tu places dans l’espace n’y est encore que comme la trace d’une vieille façon de voir les choses : celle de
l’œil crée le réel, de
l’espace n’existe que considéré par celui qui l’observe, évolue dedans et le distribue par le découpage des objets qu’il identifie comme « habitants de l’espace » – alors qu’ils ne sont, en réalité, encore que l’espace, un et indivisible (car l’espace est le corps de Dieu sans parties).
Or tu n’es déjà plus dans cette perspective, et lorsque j’ai utilisé le terme de « Atlantide » tout à l’heure, je me suis trompé : c’était « cyclopéen » le mot que je cherchais – « cyclopéen » car ce mot renvoie à un temps sans hommes, un temps de l’espace sans regard, et donc inimaginable (car Dieu existe sans qu’il ait besoin que l’on fasse l’expérience de lui).
Je pense qu’il est là ton vrai sujet : l’espace, juste l’espace – que l’on confond souvent avec le vide, car l’absence des choses est ce qui commence à nous le faire considérer ; et plus rarement avec le plein, car notre conscience peine à le percevoir lorsqu’elle perçoit un objet qu’elle croit « occuper l’espace », alors que c’est encore l’espace que cet objet.
Je vais te raconter une petite anecdote : tu sais que plus on regarde loin dans les étoiles, plus on regarde dans le passé (car plus on regarde loin, plus la lumière qui nous parvient est ancienne). Ainsi, si l’on regarde assez loin, on peut voir le point du début de l’univers : l’origine du big bang. Mais ce qu’il y a de drôle, c’est que l’on peut observer ce point de départ en regardant le ciel dans toutes les directions. J’avais donc demandé à un prof de science : « comment se fait-il que le point d’origine de l’univers puisse à la fois se trouver à l’Ouest et à l’Est, au Nord comme au Sud ? ». Ce à quoi il m’a répondu : « c’est parce qu’avec le Big Bang, c’est l’espace lui-même qui s’étend, et rien n’existe hors de l’espace. Le point d’origine de l’univers se trouve donc à tous les points de l’espace, là où tu es comme là où je suis. »
Si je te raconte ça, c’est pour te montrer, d’abord, que l’espace est tout – et que tout ce qui est n’est en fait qu’espace – et ensuite à quel point il est difficile de l’imaginer hors de nos perceptions sensibles humaines (difficile d’imaginer quelque chose qui s’étend de tous ses points à la fois, c’est à dire quelque chose que l’on ne peut pas considérer de l’extérieur).
Or ce que ta sculpture m’a fait sentir, c’est ça : le début d’une imagination extra-humaine de l’espace. Tour de force !